Un parfum de cèdre by MacDonald Ann-Marie

Un parfum de cèdre by MacDonald Ann-Marie

Auteur:MacDonald, Ann-Marie [MacDonald, Ann-Marie]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion
Publié: 2015-06-14T22:00:00+00:00


N’est-elle pas adorable ? Elle m’a souri d’un air aimable.

Je vous le demande en confidence : n’est-elle pas adorable ?

Les nantis achètent de l’alcool en douce et le consomment à la maison, en êtres civilisés. Les gens ordinaires se passent la bouteille dans une cuisine où règne la bonne humeur. Les individus louches et les jeunes qui cherchent des ennuis viennent dans le bar clandestin de Jameel, sur le quai, pour se battre, jouer aux cartes et perdre conscience. Des mineurs, des matelots et des ouvriers, certains aussi mignons et d’autres aussi mauvais que des soldats. Quelques ivrognes notoires imbibés de formol, de loin en loin un contemplatif, toujours étranger, qui ne fait que passer, un ancien combattant sans blessures apparentes. Pas de musique – personne ne se donne la peine de remonter le vieux piano mécanique. L’endroit n’est pas assez joyeux pour inspirer autre chose qu’un concert de protestations quand vient l’heure de la fermeture. Les clients sont blancs, à l’exception d’un ou deux matelots américains. Naturellement, il n’y a là personne des Fours à Coke. Et pas de femmes. Pas de touristes non plus – on n’est pas à Harlem. Pas de fils à papa venus là s’encanailler. Frances est la seule princesse déchue à avoir franchi le seuil.

Sa tante Camille ne compte pas puisqu’elle n’est pas là de son plein gré. Elle demeure à l’étage jusqu’à l’heure où il faut vider les crachoirs et éponger la pisse laissée sur le pas de la porte.

Frances, arrivée à la porte d’acier, aspire à fond l’air des Fours à Coke et pénètre dans la rumeur indistincte du bar clandestin, passant sous le bras de Boutros, qui fait comme un pont. L’air est palpable, pas uniquement à cause de la fumée, mais aussi à cause de la masse sombre des voix et des corps masculins, des vêtements souillés par le travail, de la graisse à essieux, du soufre et de la sueur. Un mouillage qui ondule et qui tangue, où s’entassent des coques dures et crasseuses, et Frances nage dans tout cela, sans rames ni espars. Qu’imaginer de plus terrifiant ? Qu’on la remarque et qu’on la prenne au filet ? Qu’on l’écrase par inadvertance ? Dénichant Jameel, elle trouve le courage de commander à boire sur le ton, espère-t-elle, d’une initiée, pressée de faire pour la première fois l’expérience du péché. Jameel lui répond de ne même pas y penser et de se mettre au travail.

Elle regarde autour d’elle. Travailler ?… Il n’y a pas de scène. Pas de projecteurs. Et certainement pas de têtes se retournant en silence alors qu’elle approche du piano. Par où commencer ? Frances souhaiterait qu’apparaisse une bonne fée qui l’entortillerait dans des plumes d’autruche et qui la doterait de seins, de hanches, de lèvres et de rouge à lèvres – de la voix de contralto rauque qu’elle imagine être celle de Louise Brooks. Pas de chance. Un mètre cinquante, plate comme une planche à repasser, fine comme une baguette – à seize ans, Frances est aussi grande qu’elle le sera jamais.



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